Après avoir vu la série SAMBRE, Fatima Abderrebi rencontre Alice Géraud à L’ENM Ecole de Magistrature à BORDEAUX. Une rencontre imprévue et tellement intéressante ; son intervention ce soir-là auprès de futur·e·s magistrat·e·s qui l’a touchée tant dans sa sensibilité, sa force dans ce récit qu’elle nous fait de son ouvrage, ce livre passionnant « SAMBRE » qui change le regard.
Fatima Abderrebi (FA) : Comment est née l’idée de raconter cette histoire ?
Alice Géraud (AG) : On est en février 2018, je suis journaliste, c’est un collègue qui attire mon attention sur ce « fait divers ». Un homme vient d’être arrêté, il est soupçonné d’avoir agressé sexuellement et violé des dizaines de femmes durant 30 ans, le matin entre son domicile et son travail. Je cherche à comprendre comment c’est possible.
Quand je rencontre les victimes, je comprends alors le chaos qu’a laissé derrière lui l’agresseur Dino Scala. Ces femmes me racontent leur histoire comme si c’était hier, leur récit est presque intact. Elles sont en colère de la manière dont elles ont été traitées par le système institutionnel.
Cela me donne envie de comprendre et de l’écrire.
FA : Comment les victimes ont perçu votre travail sur leur histoire ?
AG : Elles étaient contentes que leur histoire soit enfin entendue. Que, pour une fois, on s’intéresse aux victimes et non au criminel. Je crois que ce qui est important pour beaucoup d’entre elles, c’est que cela puisse servir à d’autres femmes.
FA : Quelle a été votre plus grande émotion lors de ce procès ?
AG : Je ne peux qualifier ou nommer une de mes émotions pendant le temps passé aux côtés des victimes, car beaucoup de choses m’ont traversé tout au long du procès.
Celle que je retiens ; celle de toutes ces victimes rassemblées au Palais de justice, cette image fut un grand moment d’émotion. Elles m’ont parue à ce moment-là, à la fois fragiles et très fortes.
FA : Au-delà de la défiance du système dans l’enquête, avez-vous pu ressentir une posture de sexisme, de la part des policiers et/ou gendarmes à l’égard des femmes, des jeunes filles dans leur parcours judiciaire ?
AG : Dans les années 80, le sexisme était omniprésent au sein des institutions. Cela a évolué, mais le chemin reste long.
Les victimes dans cette affaire ont été confrontées tout au long de leur parcours à la fois à la culture du viol et à l’inculture du viol, qui sont les deux faces d’une même pièce. Elles ont dû faire face à des policiers qui pensaient que ce n’était pas si grave, qui ne connaissaient rien aux traumatismes des victimes de viol.
FA : Quel impact sur votre vie aujourd’hui ? Êtes-vous sortie indemne, de cette aventure ?
AG : Durant l’écriture, j’étais très en colère, tout le temps.
Ces femmes m’ont fait confiance, j’avais la responsabilité d’écrire leur histoire, de la partager, de la coudre et de la retranscrire avec justesse pour que le regard change sur les oubliées de #Metoo.
« Le projet de la série SAMBRE est venu plus tard. J’ai eu envie d’écrire une fiction car, en s’éloignant un peu des personnages réels, on peut donner à cette histoire une dimension universelle. L’histoire de la Sambre raconte une histoire plus grande que la sienne, elle raconte la manière dont notre société a traité les victimes de violences sexuelles ces trois dernières décennies. La fiction permet d’approcher aussi le terrain de l’intime, raconter au travers d’un personnage ce que le viol fait sur la vie d’une femme, pas seulement après les faits, mais tout au long de son existence ».
Sambre, par Alice Géraud (éditions Lattès, 2023 ; Le Livre de Poche, 2024)
La série Sambre est disponible en replay sur France TV.