Les rapports se suivent et malheureusement se ressemblent.
Fin janvier, le Haut Conseil à l’Egalité a publié son sixième rapport sur l’état des lieux du sexisme en France. En parallèle, le HCE, en partenariat avec Viavoice, a publié aussi la vague 3 du Baromètre du sexisme.
Avec les mouvements comme #MeToo, la sensibilité croissante aux inégalités dans les jeunes générations et la prise de conscience grandissante des inégalités de genre, nous aurions pu penser à un nouvel espoir. Force est de constater que le sexisme contre-attaque. Pire, la résistance s’organise et l’empire du machisme semble retrouver des forces. L’emballement des soutiens aux agresseurs dans les affaires d’agressions sexuelles médiatisées en témoignent.
Pour ne pas rendre la lecture trop indigeste (le sujet l’étant déjà), nous ne reprenons pas toujours les chiffres présentés dans le rapport. Vous retrouverez l’intégralité du sixième rapport et du baromètre Viavoice sur le site du HCE.
Constat du rapport (comme des précédents), l’écart atterrant entre la conscience du sexisme – « 92 % de la population considèrent que les femmes et les hommes ne sont pas traité·es de la même manière dans au moins une des sphères de la société » et le vécu quotidien vis-à-vis du sexisme – « les Français·es ont du mal à se détacher des stéréotypes associés à leur genre. En effet, on observe chez les hommes une adhésion toujours plus forte aux stéréotypes masculinistes et chez les femmes une injonction importante à la féminité ».
Ce phénomène est alimenté par les réseaux sociaux et les influenceur·euses de tout bord (trad-wives1, mascu, incel2, …).
Malgré cette conscientisation, « 9 femmes sur 10 ont déjà renoncé à des actions ou modifié leur comportement pour ne pas être victimes de sexisme ».
Le masculinisme se renforce, en défendant l’idée que le féminisme menace la place de « l’homme mâle », qui perdrait son pouvoir et en permettant une valorisation des « hommes mâles » au détriment des femmes.
Profitons en pour rappeler la définition du féminisme (par le Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales, créé par le CNRS en 2005) : « Mouvement social qui a pour objet l’émancipation de la femme, l’extension de ses droits en vue d’égaliser son statut avec celui de l’homme, en particulier dans le domaine juridique, politique, économique; doctrine, idéologie correspondante ». On est bien d’accord qu’il n’y a aucune idée de remplacement des hommes par les femmes, juste l’émancipation de la femme et les mêmes droits que les hommes : donner des droits aux femmes n’en enlèvent pas aux hommes !
Le clivage Femmes – Hommes se creuse encore : les femmes sont bien plus nombreuses à constater leur inégalité de traitement avec les hommes. Et le clivage est encore plus important pour les situations de sexisme du quotidien3 (embauches, remarques sur les tenues vestimentaires, blagues sexistes, …).
Le clivage est aussi générationnel : les hommes de 25-34 ans adhérent plus aux clichés masculinistes (performance de l’homme, « supériorité » de l’homme) alors les hommes de plus de 65 ans sont plus dans des clichés conservateurs (protection de la femme, addition à payer, ….)
Il en va de même chez les femmes où les femmes de 25-34 ans sont plus réceptives sur la maternité ou leur rôle dans la famille. C’est dans cette tranche d’âge que les « trad-wives » font recette !
Il n’y a malheureusement pas que le sexisme qui se renforce, les violences sexuelles ont doublé entre2017 et 2022. Concernant les féminicides en 2023, leurs nombres varient suivant les sources et les définitions données : 94 selon les ministères, 103 féminicides par compagnons ou ex selon le collectif ‘Féminicides par compagnon ou ex’ et 134 selon #NousToutes. Quel que soit le chiffre, il est toujours insupportable.
Pour le HCE, il y a trois causes principales, trois « incubateurs » du sexisme : la famille, l’école et le numérique, les trois jouant des rôles successifs dans la perpétuation des stéréotypes et du sexisme.
Les stéréotypes (pour rappel, selon le CNRTL : Idée, opinion toute faite, acceptée sans réflexion et répétée sans avoir été soumise à un examen critique, par une personne ou un groupe, et qui détermine, à un degré plus ou moins élevé, ses manières de penser, de sentir et d’agir) sont profondément enracinés dans la culture et sont donc reproduits à la maison, puis à l’école et dans les médias et les réseaux sociaux : une véritable « éducation au sexisme ».
Ces chiffres sont à mettre en parallèle avec ce que les parents estiment : 76% des parents pensent choisir les mêmes jouets pour leurs enfants. La réalité est loin de la perception ! Et « le masculin reste encore une fois toujours plus valorisé, il reste le référentiel. »
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les comportements genrés sont flagrants. Et, bien évidemment, et malheureusement, les stéréotypes qui foisonnent dans la société sont reproduits au sein de l’école (attitudes des garçons envers les filles, discriminations, partage de l’espace, …).
Les biais genrés sont aussi véhiculés par les enseignant·es (distribution de la parole, différences dans les bulletins scolaires, …).
In fine, tout ceci se retrouve dans l’orientation des filles et des garçons, particulièrement genrée elle-aussi.
NDLR A l’heure où le Conseil supérieur des programmes dans l’Education Nationale doit publier un programme d’éducation à la sexualité et où le Conseil Economique Social et Environnemental doit remettre un rapport sur l’Education à la Vie Affective, Relationnelle et Sexuelle , il est indispensable que l’Ecole s’empare du sujet et que les enjeux de l’Egalité et une éducation à la sexualité deviennent une réalité tangible.
Dans les médias, sur les réseaux sociaux, le sexisme est en roue libre et « les plateformes numériques constituent une véritable caisse de résonance des stéréotypes de genre. »
Les réseaux sociaux multiplient les stéréotypes, les masculinistes à destination des « hommes-mâles » et ceux « inhérents » à la féminité pour les femmes. Les comptes des trad-wifes, incel ou autres mascu fleurissent et engrangent nombres de followers, certains parfois très / trop jeunes.
Et n’oublions pas la publicité. Que dire à son sujet, il suffit d’allumer la télévision, d’ouvrir un magazine, de regarder une affiche pour être assailli de sexisme. Et cela se retrouve aussi dans les publicités pour les jouets !
NDRL : un fil excellent pour dénoncer toutes les ‘pépites’ sexistes.
Pour finir le sombre constat, l’impact toujours croissant de la pornographie. 40% des 25-34 ans estiment que la pornographie ne présente une image dégradante de la femme, 64% estiment qu’elle donne envie de reproduire les gestes sexuels observés et 41% qu’elle est une aide pour les premiers rapports sexuels ! Le plus inquiétant est que 51% des personnes ayant déjà regardé des contenus pornographiques ont eu leur première « expérience » de la pornographie avant 17 ans.
En conclusion, malgré la prise de conscience, 75% des personnes interrogées pensent qu’une partie des actes et propos sexistes sont tolérés.
Il est indispensable que la société réagisse collectivement et qu’une réelle politique publique de lutte contre le sexisme, les inégalités de genre, les violences sexistes et sexuelles soit mise en œuvre et que les moyens soient donnés à l’Ecole afin de préparer les citoyen·nes de demain à vivre dans une société où tous·tes seront égales et égaux.
CAMILLE KLEINPETER
3 https://gazettedesfemmes.ca/13905/le-sexisme-du-quotidien/
Pour en savoir plus
Télécharger le rapport annuel sur l’état des lieux du sexisme en France