En 1973, aux États-Unis, les femmes obtiennent le droit d’avorter avec la promulgation de l’arrêt Roe vs Wade. 50 ans plus tard, ce droit se voit fortement compromis. Dans la nuit du 2 au 3 mai 2022, un projet de la Cour suprême visant à annuler l’arrêt fuite dans la presse.
Ce projet d’une soixantaine de pages a été rédigé par le juge conservateur Samuel Alito, et il est très clair dans ses intentions : l’arrêt Roe vs Wade « doit être annulé » puisqu’il considère que la décision prise en 1972 était « assurément erronée depuis le début ». Selon Alito le droit à l’avortement n’est pas une liberté fondamentale car « il n’est pas profondément enraciné dans l’Histoire et les traditions de la nation ». Effectivement, il n’est pas étonnant que les « pères » fondateurs de la Constitution n’aient pas été particulièrement préoccupés par la liberté d’avorter. Alito n’est pas à un anachronisme près, il fait aussi référence à un juriste du XVIIe siècle, Matthew Hale, qui décrivait l’avortement comme un grave crime et qui, quand il ne condamnait pas des femmes pour sorcellerie, soutenait qu’un homme ne pouvait pas être reconnu coupable d’un viol sur sa femme.
L’annulation de l’arrêt Roe vs Wade verrait les femmes de nombreux États américains être privées du droit à l’avortement. Certain·es républicain·es ont tenté de minorer la gravité du projet porté par Samuel Alito, prétextant que les femmes auraient toujours le choix puisque l’avortement resterait légal dans plusieurs États du pays. Cet argument ignore sciemment que de trop nombreuses femmes n’ont pas les moyens de se rendre dans un État où elles ne seraient pas privées de leurs droits. Nous savions que les attaques des anti-IVG étaient de plus en plus menaçantes : depuis quelques années, de nombreux États avaient drastiquement amendé le droit à l’avortement. Par exemple, le 19 mai 2022, le Parlement de l’Oklahoma a adopté une loi s’inspirant du modèle texan qui interdit le recours à l’IVG au-delà de six semaines de grossesse, y compris en cas d’inceste ou de viol. Et puisque la moitié des femmes voulant avorter sont sous le seuil de pauvreté, beaucoup se verront dans l’impossibilité de trouver une solution ne les mettant pas en danger. On estime que 75 000 femmes dans cet État seront privées du droit à disposer de leur corps, certaines d’entre elles perdront la vie. Il est en effet avéré que la mortalité avant ou pendant l’accouchement est plus forte dans les États qui restreignent l’accès à l’IVG.
Les coups portés au droit à l’IVG aux États-Unis par les Républicains sont anciens, cette lutte acharnée des conservateurs cumulée à la nouvelle composition de la Cour suprême (D. Trump en a nommé un tiers des membres) aboutissent au projet de Samuel Alito. Les féministes ont depuis longtemps compris que le droit à l’avortement serait toujours menacé, dès 1973 des démocrates comme Bella Abzug ont plaidé pour que le Congrès adopte au plus vite des lois renforçant ce droit. Rien n’a été fait dans ce sens et pendant ce temps, les anti-IVG mettaient les bouchées doubles pour faire passer des restrictions au niveau des États, et la lutte contre le droit à l’avortement devenait un moyen de mobiliser les électeurs conservateurs dans les urnes. La force de ces mouvements contraste avec la frilosité des dirigeant·es démocrates, qui n’ont pas été assez loin quand ils en avaient encore la possibilité. Bill Clinton évoquait l’IVG comme devant être « légal et rare », le désignant ainsi comme étant un acte regrettable, mais parfois nécessaire. Après lui, Barack Obama avait promis dans sa campagne d’inscrire le droit à l’avortement dans la loi, ce qui aurait empêché toute restriction au niveau des États. Une fois élu, il a fait machine arrière en expliquant que le sujet divisait trop la société. Une affirmation discutable puisque les sondages rapportent qu’environ deux tiers des citoyen·nes américains sont favorables à l’IVG. Une telle apathie n’est plus tolérable, les conservateurs eux n’attendent pas et attaquent sur tous les fronts. Mi-mai a été présenté en Louisiane un projet de loi qui permettrait aux procureurs de condamner pour homicide les personnes qui pratiquent ou qui recourent à l’IVG.
Les élu·es démocrates doivent s’emparer du sujet et cesser les discours en demi-teinte empêchant tout action. Les Républicains ont prouvé l’efficacité de leur engagement, ils n’ont jamais accepté l’arrêt Roe vs Wade et n’ont cessé de lutter contre. Le dernier mois nous a rappelé, s’il était besoin, que le combat féministe est un combat permanent, et que les droits conquis ne sont jamais garantis. Les libertés se perdent aussi facilement qu’elles sont dures à acquérir.
Thomas LAMBERT