Les filles réussissent mieux à l’école que les garçons. Derrière ce lieu commun largement relayé, les chiffres attestent de cette réalité. En 2018, avant la réforme du baccalauréat, la proportion de bachelières au sein d’une même génération s’élevait à 86%, contre seulement 76% pour les garçons. L’écart est d’autant plus impressionnant pour le bac général : seulement 36% des garçons d’une même génération l’obtenaient contre 50% des filles. Au sein d’une même section – les anciennes premières et terminales ES, L et S –, les résultats des lycéennes étaient là encore bien supérieurs à ceux des lycéens.
Cette réussite s’explique sociologiquement. La socialisation différenciée entre les genres encourage des comportements favorisant la réussite scolaire chez les filles – patience, obéissance, respect des règles[1] – là où les garçons vont être façonnés dans une image de turbulence et de rébellion. Cette socialisation genrée, toute bénéfique qu’elle semble être dans le cas des résultats scolaires, induit des mécanismes qui peuvent in fine desservir les jeunes filles dans la poursuite de leurs études. C’est notamment le cas dans l’enseignement des mathématiques.
Tout un ensemble de discours vise à disqualifier cette discipline auprès des jeunes filles, mais aussi à disqualifier les jeunes filles qui souhaiteraient faire des mathématiques. Pour les sociologues Christian Baudelot et Roger Establet, auteurs d’Allez les filles, les différences de résultats en maths entre filles et garçons sont faibles et en constante baisse. Mieux encore, avant la réforme de Jean-Michel Blanquer, les filles réussissaient mieux en terminale S (93% de réussite au bac) que les garçons (90% de réussite).
C’est dans les études supérieures que les filles rechignent à choisir des matières scientifiques, alors qu’elles y réussissent tout aussi bien – voire mieux – que les garçons. En 2018, elles ne représentaient que 30% des effectifs dans les classes préparatoires scientifiques et moins de 29% dans les écoles d’ingénieurs. Pourquoi ? D’une part parce que les filles s’auto-évaluent bien plus mal que les garçons. Toujours selon les deux sociologues, les garçons ayant de mauvais résultats en maths (entre 6 et 9 sur 20) n’hésitaient pas tant que ça à poursuivre leur parcours dans une section scientifique (1 sur 2), en revanche les filles dans la même situation renoncent aux sciences dures (1 sur 6 poursuit en filière scientifique). D’autre part, les filières scientifiques sont vues et perçues comme élitistes et trop compétitives pour des filles qui se considèrent comme trop sensibles. Une causalité circulaire se met alors en place chez les jeunes filles : si leurs aînées ont choisi de ne pas aller dans des filières scientifiques et qu’elles pensaient déjà a priori que ces études n’étaient pas pour elles, alors il n’y a pas de place pour le doute, elles ne sont pas « faites pour ça ».
Le lien entre filles et mathématiques était donc déjà, avant la réforme du baccalauréat, bien fragile. Des avancées, toutefois, étaient visibles. Près de 50% des élèves en S étaient des filles en 2018, contre à peine plus de 40% en 1994. Dans cette lente ascension vers l’égalité, un éboulement politique a fait perdre aux femmes ces progrès lentement conquis.
La réforme du baccalauréat – adoptée en 2018, mais dont les effets sur le bac se font sentir pour la première fois en 2021 – est une catastrophe pour les filles. Désormais, les lycéen·nes ne choisissent plus des sections, mais trois enseignements de spécialité en première, puis seulement deux en terminale. À cela s’ajoute un tronc commun de 16 heures par semaine qui comprend des matières dites classiques (histoire, français, EPS etc.), dont seulement 2 heures consacrées non pas aux mathématiques, mais à l’enseignement scientifique dans toute sa globalité ! Derrière ces précisions techniques, une réalité alarmante : les filles font beaucoup moins de mathématiques qu’avant la réforme du baccalauréat. En 2020, dernière année avant les effets de la réforme, 48,4% des filles pratiquaient des mathématiques intensives en terminale. En 2021, première année du bac nouvelle formule, elles ne sont plus que 38,6%. Des années de progrès vers l’égalité filles-garçons balayées par une réforme.
Pour l’économiste Thomas Breda, la réforme du bac a obligé les lycéen·nes à choisir une spécialité bien trop tôt, alors que le système des sections générales (L, ES et S) permettait d’avoir des enseignements plus généraux. Avec l’ancien bac, des bonnes élèves se tournaient vers un bac S sans idée de ce qu’elles voulaient alors faire – rappelons qu’à l’arrivée en première les élèves ont autour de 16 ans –, puis avaient deux ans d’enseignement scientifique et pouvaient donc à la fin s’orienter vers des études supérieures dans ce domaine. Avec le nouveau bac, ce lent cheminement n’est plus possible. En se spécialisant plus tôt, l’orientation est d’autant plus genrée. Résultat, les filles renoncent aux mathématiques et se ferment définitivement des portes.
Cette génération sacrifiée risque au demeurant de faire chuter drastiquement la proportion de femmes dans les études scientifiques.
Une des solutions envisageables, en dehors d’une refonte du baccalauréat, serait d’ajouter un enseignement mathématique de plusieurs heures dans le tronc commun obligatoire, indépendant de l’enseignement scientifique global.
Milan SEN
[1] Mosconi Nicole, Genre et éducation des filles. Des clartés de tout, Paris, L’Harmattan, 2017, 206 p.