L’Assemblée des Femmes se félicite que la loi du 13 avril 2016 ait opéréune véritable révolution de la pensée sur la prostitution, en France. 78 % des Français·es sont aujourd’hui en faveur de cette loi et 71 % pensent qu’il ne devrait pas être possible d’avoir accès au corps et à la sexualité d’autrui1.Enfin,les personnes prostituées ne sont plus considérées comme des délinquantes, mais comme des victimes. Les clients, à 99 % des hommes, sont mis devant leur responsabilité et poursuivis. L’éducation nationale a inscrit la lutte contre la marchandisation des corps dans son enseignement. Et la lutte contre les réseaux est intensifiée.
Ainsi que le montrent les constats des associations présentes aux cotés des victimes et les rapports des inspections générales,cette loi fonctionne.Cinq cents victimes sont accompagnées dans la sortie de prostitution. La reconnaissance du statut de victime des prostituées fait son chemin dans les services de police, avec des changements de méthodes. La loi fonctionne dans les régions où les procureurs ne transigent pas sur la pénalisation des clients. Mais cinq années ne sont pas suffisantes pour que la loi soit appliquée partout et par toutes et tous.
Pour que la loi réponde enfin à cet enjeu majeur de lutte contre le profit des proxénètes, contre la traite et l’asservissement de l’être humain, en un mot contre le système prostitutionnel, il faudrait un portage politique efficace et mobilisé, qui manque dramatiquement ! Toujours pas de communication gouvernementale sur cette violenceincompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine, alors même que la lutte contre les violences contre les femmes est à l’ordre du jour. Pas d’effort sur la prévention en milieu scolaire, alors que la prostitution des jeunes est estimée à 15% et que les jeunes qui se prostituent ont été, dans 80% des cas, victimes de violences.Encore trop peu de moyens pour lutter efficacement contre les réseaux de proxénétisme. Pas de verbalisation des clients dans certaines parties du territoire, alors que ce sont eux les financeurs des proxénètes et des réseaux.
En cette période de pandémie, les personnes prostituées sont confrontées à une plus grande précaritéet le gouvernement, en ne déployant pas les mesures de sortie de la prostitution portées par la loi, aggrave leurs conditions de vie.
L’application de la loi reste partielle et en demi-teinte ; elle est laissée au bon vouloir et l’appréciation des représentant·es de l’État. Alors c’est pour quand ? Combien de temps faudra-t-il encore pour appliquer cette loi ? Si les moyens étaient mis à même hauteur que contre le trafic de stupéfiants, nous n’en serions pas là.
La Suède puis la France ont ouvert la voie, la Norvège, le Canada, Israël, l’Islande, la Finlande ont eux aussi choisi le modèle abolitionniste et d’autres pays d’Europe et du monde sont prêts à s’engager dans ce combat. Mais ils attendent de voir comment nos politiques publiques françaises répondent à cette perspective d’un monde sans prostitution.
Il serait temps de réaffirmer au plus haut niveau que l’interdiction de l’achat d’un acte sexuel est fondamentale pour lutter contre les violences sexuelles et indispensable au principe d’égalitéentre les femmes et les hommes.Tant que cette loi ne sera pas appliquée, ce n’est pas la peine de nous parler d’égalité.
Laurence Rossignol, présidente de l’Assemblée des Femmes
Maud Olivier, coautrice et rapporteure de la loi
1Sondage Ipsos, février 2019.