Danielle Bousquet qui était présente à l’ONU à New York à la CSW du 13 au 24 mars 2017 puis à la CIPD du 3 au 21 avril 2017, revient sur ces deux conférences, avec l’expérience qui est la sienne pour avoir été de nombreuses années la représentante de la France à la CIPD.
La CIPD, sans doute la plus importante des deux conférences depuis les avancées adoptées par celle du Caire en 1994, se cale néanmoins sur les conclusions de la CSW qui la précède de 15 jours.
25° UNIVERSITE D’ÉTÉ DE L’ASSEMBLÉE DES FEMMES, 25 août 2017.
Intervention de Danielle BOUSQUET
Présidente du HCEF/H et Vice-présidente de l’ADF
« Les droits des femmes bafoués à l’international :
La 61ème session de la CSW et la 60ème session de la CIPD »
Autonomisation économique des femmes dans un monde en pleine évolution.
I. La CSW- 61, 61ème session de la commission du statut de la femme de l’ONU (13-24 mars 2017).
Le risque de régression qui pèse sur les droits des femmes dans les enceintes internationales n’est pas un phénomène nouveau. Depuis l’adoption de la déclaration et du programme d’actions de Pékin en 1995, qui demeure le document de référence, les rapports de force ne permettaient que de préserver les acquis dans les textes adoptés à l’ONU.
La 61ème session de la CSW a marqué un tournant préoccupant, significatif de la vigueur des conservatismes à l’ONU, de nouvelles dynamiques opposées à l’avancée ou au maintien des droits des femmes et d’un isolement croissant de l’Union Européenne sur les sujets traditionnellement clivants.
· Quel était le contexte ?
La publication du projet initial de conclusions qui avait été préparé par le bureau de la CSW (Brésil, Egypte, Bosnie-Herzégovine, Japon, Allemagne) laissait déjà présager de difficultés, car on pouvait y noter l’absence des causes structurelles des inégalités, l’absence d’une approche par les droits des femmes, et de nombreuses lacunes (rôle de l’éducation, accès à la santé sexuelle et reproductive, rôle de la société civile, lutte contre les violences, pour l’autonomisation économique des femmes).
La secrétaire générale de l’ONU-Femmes n’a pas joué son rôle, elle a pratiqué une autocensure systématique pour ne pas heurter les pays conservateurs sur les sujets sensibles. En ce qui concerne ONU-Femmes, je voudrais ajouter que sur le document préparatoire (septembre 2016) on trouve qu’il faudra (je traduis)
– reconnaître que « le travail du sexe » c’est un métier, et protéger les conditions de travail de celles et ceux qui ont choisi librement de s’engager dans l’activité professionnelle du sexe,
– reconnaître que les organisations de « travailleurs du sexe » sont des syndicats et des associations légitimes, et les inclure activement à l’intérieur des organisations de négociations collectives et des institutions.
· La nouvelle position américaine change la donne
La dynamique des négociations a été profondément affectée par la nouvelle orientation de l’administration américaine. En effet, les USA ont indiqué ne plus accepter le langage agréé (CSW-60ème) sur les droits sexuels et reproductifs (DSR). Cette position nouvelle a servi de catalyseur pour les pays conservateurs (groupe Afrique, groupe arabe, Saint Siège, Russie, Iran) qui estimaient que le rapport de forces leur était dorénavant profitable et qu’il n’était donc plus nécessaire de composer avec les positions progressistes.
Dans ce contexte, l’Union Européenne s’est retrouvée extrêmement isolée, ses positions faisant l’objet de réactions vives, voire hostiles, alors que nos partenaires traditionnels (Australie, Canada, Nouvelle-Zélande) se sont montrés peu sensibles à la dégradation du langage agréé.
La position américaine s’est également raidie sur le langage relatif à la perception du rôle des femmes, soutenant des références à l’importance de la maternité, à la complémentarité, au rôle reproducteur et domestique des femmes, remettant en cause le financement de la protection sociale par l’Etat, et les sujets mentionnant les contraintes climat.
La Russie a opté pour une posture d’obstruction sur l’ensemble des sujets.
Outre les sujets des droits à la santé sexuelle et reproductive, les tensions se sont également manifestées sur d’autres sujets (on peut faire les mêmes observations que dans d’autres enceintes sur les questions de société) : rôle de la société civile, rôle de la famille, ajout de clauses de souveraineté nationale (les cultures nationales peuvent justifier des positions différentes sur les droits des femmes), rôle des femmes, et les ressources publiques à allouer à la lutte contre les inégalités femmes/hommes.
· L’Union Européenne n’était pas préparée à cette offensive
L’UE qui ne s’était pas du tout préparée à cela, s’exprime de manière globale, dans une volonté de consensus, mais celui-ci est fragile. Il y a des divisions fortes et des vues antagonistes entre un noyau dur des pays les plus progressistes (Danemark, Suède, Pays-Bas, Finlande, France) et les positions très conservatrices de la Hongrie et de la Pologne sur les Droits Sexuels et Reproductifs (DSR). L’unité de la position a été difficile à conserver, ce qui a fragilisé la voix de l’Union Européenne aux moments cruciaux de la négociation.
C’est essentiel de s’interroger sur le caractère primordial ou non du consensus européen sur ce sujet qui fait traditionnellement polémique entre états membres. La Pologne et la Hongrie font le jeu des positions conservatrices en bloquant l’expression de l’Union Européenne, ce qui ne lui permet pas de s’engager auprès de nos partenaires (Australie, Canada, Nouvelle-Zélande) pour porter des positions plus ambitieuses.
Il nous faut nous interroger sur la dynamique qui prévaut au sein de la délégation de l’UE, prête à accommoder les 2 Etats les plus conservateurs pour préserver le consensus à tout prix.
· Dans ce contexte, la France est à l’initiative sur les Droits Sexuels et Reproductifs
L’Union Européenne a prononcé une déclaration à la fin de la session, afin de souligner que le langage contenu dans les paragraphes nouveaux ne pourrait être considéré comme du langage agréé dans les discussions futures. C’est d’autant plus important qu’ils sont relatifs à l’ensemble de nos priorités, au-delà des DSR : lutte contre les violences et les discriminations, référence à la famille et à la santé.
La France a prononcé une déclaration nationale sur les DSR pour dénoncer les atteintes à ces droits fondamentaux pour l’autonomisation des femmes, elle a été rejointe par 21 pays de l’UE.
Commentaire : la difficulté de la négociation témoigne d’un renforcement des conservatismes aux Nations Unies et de l’unité toujours plus difficile à obtenir au sein de l’UE.
Ø Des rumeurs persistantes sur l’organisation d’une nouvelle conférence internationale post-Pékin reviennent régulièrement. Une telle initiative serait inopportune car dans le contexte actuel nous ne pourrions obtenir de meilleur langage que celui agréé à Pékin qui semble le maximum de ce que nous pouvions obtenir.
II. La CIPD-60, 60ème session de la Conférence Internationale sur la Population et le Développement (avril 2017)
Les négociations de la 61ème CSW ont eu un impact sur les négociations de la CIPD.
La Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD) qui s’est tenue au Caire en 1994, et le programme d’actions qui en a résulté, ont focalisé les politiques et les programmes relatifs à la population non plus sur la démographie, mais bien sur les droits humains, et ont souligné les liens entre population et développement qui se renforcent mutuellement. Ils constituent une reconnaissance du fait que la santé reproductive, y compris la santé sexuelle et les droits reproductifs, ainsi que l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes sont des finalités importantes en soi, essentielles pour l’amélioration de la qualité de vie de tous.
A la 4ème conférence mondiale sur les femmes (CSW) à Pékin en 1995 ces convictions ont été réaffirmées.
Chaque année les négociations qui interviennent à une semaine d’intervalle se crispent autour des notions de famille et de droits sexuels et reproductifs. Cette année, cela a produit un effet dissuasif. La diplomatie américaine ayant changé de position, les pays conservateurs sont parvenus à imposer des conclusions agréées en-deçà des conclusions agréées de 2016.
Dorénavant tout cela se discute dans ce que l’on appelle « le programme 2030 pour le développement durable », mécanisme qui a remplacé « les objectifs du millénaire pour le développement » dont les objectifs, concernant les droits des femmes (dont les DSR), sont loin d’avoir été atteints.
· Ces quelques éléments de base étant posés, il faut rappeler que l’agenda et le programme d’actions du Caire sont régulièrement remis en cause au sein des enceintes onusiennes (en particulier lors des CIPD) sur les composantes d’un des marqueurs de notre action internationale : la prise en compte des droits humains (et en particulier ceux des femmes) dans le développement durable. Ces questions ont été identifiées par toutes les études comme essentielles pour l’atteinte des objectifs du Développement Durable.
· Or aux USA, en rétablissant le « global gag rule », la règle du bâillon, Donald Trump a, de fait, supprimé le financement de 600 millions de dollars aux associations (étrangères ou non) qui mènent des actions de planification familiale.
Et on estime que chaque année, si cette décision n’était pas contrecarrée, elle entraînerait plus de 20 000 décès maternels, 4,8 millions de grossesses non désirées et 1,7 millions d’avortements clandestins supplémentaires.
Beaucoup plus dur que sous Reagan et les 2 Bush !
Toute association – quel que soit le domaine d’action – qui mentionne une fois avortement dans une brochure ou une consultation, doit renoncer aux subventions américaines. Potentiellement cela concerne 8,8 milliards de dollars, y compris ceux alloués à la lutte contre le sida, le paludisme, le virus Zika…. En réponse au Global Gag Rule la plateforme « She decides » a été créée en mars 2017 : environ 50 Etats la soutiennent avec une contribution de 181 millions de dollars. Cependant les déficits de financement restent immenses.
A la CIPD (présidence qatarie), dans le contexte dont nous avons parlé, les conclusions présentées qui reprenaient le langage du Caire n’étaient pas acceptables pour le groupe arabe et les USA qui demandaient des révisions de langage sur la santé sexuelle et reproductive et sur l’éducation sexuelle. Ces demandes remettaient en cause ce qui était acquis et la Présidence qatarie a préféré retirer son texte, ce qui conduisait à un point d’équilibre plus proche du nôtre que de celui des conservateurs.
Il n’y a donc pas eu de texte final puisqu’il n’y a pas eu d’accord. Mais cela laisse augurer de nombreuses difficultés.
Ø Il est important de renforcer la position de l’Europe et donc la pression sur les gouvernements européens conservateurs.