par Florence Fortin-Braud, éditions Berger-Levrault – 2024
Florence Fortin-Braud est aide-soignante en psychiatrie, autrice et formatrice. Elle est membre du bureau de l’Assemblée des Femmes et de l’Observatoire du Grand Âge.
Dans cet ouvrage, elle s’intéresse à la condition des femmes âgées et de celles qui les entourent (soignantes, aidantes…). Partant du constat que les femmes sont majoritaires en EHPAD, elle mène une enquête sur les causes réelles de leur arrivée dans ces établissements, au-delà des préjugés sur la pyramide des âges.
Dépassant ses propres biais genrés, l’autrice démontre, statistiques à l’appui, que la démographie n’est pas la cause majeure de cette surreprésentation des femmes en EHPAD, que la double discrimination âgiste et sexiste conduit à des violences psychologiques, physiques, et parfois même à des féminicides trop souvent passés sous silence.
Elle décrit aussi la condition des soignantes et des aidantes, trop souvent invisibilisées – là où les hommes bénéficient du syndrome « Tony Micelli » :
Tony Micelli, c’est le papa solo interpreté par Tony Danza dans la série phare des années 80 Madame est servie. Tony, c’est l’homme rêvé : papa poule, homme de ménage accompli, bon cuisiner sachant préparer de bons petits plats, mais aussi confident, il jouit, en plus, d’un physique très avantageux, ce qui le propulse au rang d’homme, de père et de gendre idéal. Et les femmes de la série ne s’y trompent pas, toutes générations confondues : voisines, collègues, amies, mamans… Tony fait l’unanimité dans la gent féminine. Un homme qui reste un homme (sportif, sexy, drôle, protecteur) tout en sachant mettre en avant des compétences traditionnellement féminines, voilà de quoi enthousiasmer les foules.
Sauf que dans la vraie vie, Tony s’appelle Tonia. Tonia, c’est vous, c’est moi, c’est la génération sandwich qui se débat entre l’aide aux parents vieillissants et l’éducation des enfants, tout en travaillant, de préférence dans les métiers du lien. Sauf que nous, on n’en fait pas une série à succès. Parce que ce qui semble si exceptionnel chez Tony semble naturel chez Tonia : une femme, forcément, elle sait faire tout ça.
C’est ce que j’appelle le syndrome Tony Micelli : le fait de trouver incroyable qu’un homme fasse strictement la même chose qu’une femme, et que son genre soit une valeur ajoutée. Car du point de vue professionnel, la balance penche en faveur des hommes : à compétences égales, ils se verront plus facilement proposer des promotions professionnelles. Et dans la sphère privée, c’est encore banco pour eux : à charge domestique égale, ils seront plus facilement félicités, et se feront plus facilement aider… par des femmes bien sûr ! Alors non, je n’ai rien contre les Tony, mais j’aimerais qu’on regarde aussi les Tonia de la même façon !
Florence Fortin-Braud
Elle explore aussi le fonctionnement des EHPAD, s’interroge sur la place des femmes dans les instances dirigeantes dans la sphère publique et dans le secteur privé. Le livre se termine par une série d’entretiens avec celles et ceux qui oeuvrent au quotidien pour créer les conditions du mieux vieillir.
Une plongée saisissante dans un univers invisible, dans lequel les femmes auraient beaucoup à gagner à se faire entendre.