par Marine Bruneau, Essai, éditions Coop Breizh 2023
« On dit tout et n’importe quoi sur le syndrome d’imposture. On ne dit rien sur le syndrome d’impostrice »
C’est par ces mots que s’ouvre l’essai de Marie Bruneau. Si le syndrome d’imposture existe pour les hommes comme pour les femmes, il n’est pas le même concernant ces dernières tant elles sont nombreuses à en souffrir et tant il relève d’un système ancré dans la société patriarcale. Marine Bruneau fait la démonstration d’un conditionnement à l’illégitimité dès l’enfance en s’appuyant sur une étude approfondie (plus de 1600 femmes interrogées et des témoins) et de nombreuses références.
De quoi s’agit-il ? Le syndrome d’impostrice résulte de la combinaison entre le couple rapidité / travail acharné qui conduit à l’épuisement, le besoin de reconnaissance des compétences toujours mises en question et enfin la modestie immodérée qui minimise indéfiniment les réussites et empêche l’expression des idées de peur de montrer ses supposées limites.
Tout cela repose sur le socle de la légitimité. Chausser les lunettes du genre s’impose alors, car la légitimité des femmes dans l’espace familial et socio-professionnel est constamment sommée d’être prouvée.
Toutes touchées ! Pour son étude, Marie Bruneau lance un recueil de données quantitatives, s’attendant à recevoir 500 questionnaires. En 30 jours lui parviennent plus de 1600 réponses qui montrent majoritairement le même schéma du sentiment d’imposture. Ceci quel que soit l’âge, le statut et la fonction : étudiante, employée ou cadre, élue, artiste, fonctionnaire, travailleuse indépendante,…
Quelques chiffres :
- 62,7% des répondantes ont déjà renoncé à des projets professionnels car elles ne sentaient pas légitimes
- 70,1% minimisent systématiquement leurs réussites ; plus de la moitié attribuent leur succès à la chance ou leurs proches et non à elles-mêmes
- 76,2% sont mal à l’aise si elles sont complimentées
Le patriarcat organisateur.
Les femmes s’appliquent leur sentiment d’impostrice comme s’il procédait de leur seule personnalité, de leur propre histoire de vie. Au contraire, Marie Bruneau analyse les systèmes générateurs d’une dépréciation qui induit l’auto-sabotage des projets et de l’estime de soi. Elle met en perspective l’entraînement à la minimisation de soi dès l’école, le conditionnement dans le choix des études qui aboutit à la sous représentation des femmes dans les métiers d’ingénierie et de production, leur sur-représentation dans les métiers du « Care », la non-reconnaissance du couple travail/ charge familiale… Elle montre l’interaction entre l’illégitimité imposées aux femmes dans le monde du travail et la pérennité des différences salariales et statutaires (pour mémoire, les femmes gagnent en moyenne 19% de moins que les hommes et occupent 80% des emplois à temps partiel).
Plus encore, la place des femmes est constamment questionnée parce qu’elles sont des femmes : ainsi cette maire de commune à qui l’on rappelle que sans la parité elle n’aurait pas été élue et qu’il serait de bon ton d’afficher un 1er adjoint masculin ! Selon Marie Bruneau, dans la société capitaliste et patriarcale, c’est tout le genre féminin qui est minimisé. Ceci forme le terreau d’un syndrome d’impostrice systémique contre lequel il est impératif de lutter.
S’en sortir c’est possible.
Loin des injonctions (sois forte ! prends du temps pour toi !) assénées à des femmes dont la réalité de vie reste une lutte de tous les instants, Marie Bruneau propose d’analyser pour agir et donne les clés pour s’en sortir : construire son propre verbatim de ce qui donne confiance en soi ; regarder son parcours de façon personnelle et factuelle ; décrire ce que l’on se doit, à soi-même ; s’appuyer sur des rôles-modèles qui nous ressemblent et nous permettent la comparaison sans dépréciation, solliciter et compter sur la sororité, se créer un espace à soi physique, intellectuel, symbolique et protecteur…
Argumenté, incisif et positif, l’essai de Marie Bruneau appelle à l’affirmation de la place des femmes dans la société et ouvre des perspectives. En témoigne la belle épigraphe placée en ouverture de son essai, issue d’un poème de l’autrice américaine Mary Oliver : « Dis-moi, qu’as-tu prévu de faire de ton unique, sauvage et précieuse vie ? »
Marine Bruneau est Experte Egalité – Dirigeante de Egaluce – Cabinet de conseil/formation/conférence égalité femme /homme et diversité